mardi 16 octobre 2012

La TwittÉrature est-elle une littérature ?

Ce texte a été diffusé sur le site de l'ITC (Institut de Twittérature Comparée) 
à l'occasion du Premier Festival International de Twittérature. 
2012 http://www.twittexte.com/ScriptorAdmin/scripto.asp?resultat=305173#57030


Merci à Jean Yves Fréchette 
https://twitter.com/JYFrechette


Un jour, fut inventée la Twittérature. Elle fut liée à la francophonie et on chapeauta son e d’un accent aigu. On voulait ainsi se distinguer de l’anglais Twitterature sans accent bien sûr. Tout cela montrait bien que le Québec avait œuvré. 
En cette invention, l'humour et le second degré étaient de règle. On se prenait fort au sérieux sans y croire un instant. On jouait comme font les enfants, c’est à dire très sérieusement.
On feignait d'encadrer l'affaire rigoureusement. On édictait des règles que les mêmes enfreignaient immédiatement.
Se bâtissait cependant, subrepticement, constamment, progressivement, obstinément, délibérément, un corpus, corps de texte, corps constitué, paquet d’écrits en Lettres de Lumière. Écrits donnés à lire à l'instant même.

Bref, se constituait une pratique d’écriture. On cherchait des formes et des formules magiques, on s'associait à des courants littéraires existants, ou préexistants, on redonnait vie à des mouvements qu'on avait cru décadents ou tout à fait mineurs. On réhabilitait le fragment et les formes brèves, on luttait contre, le fragment et le fait d’y cantonner la Twittérature, on inventait  des manières d’agencer les morceaux d’écriture (ou tweets) pour qu’œuvre se fasse.

On allait presque au hasard. Et chaque pensée émit un coup de dés.
On habita la Toile. On se fit, comme tout un chacun aujourd’hui, international, supranational, universel, mondial, global, en un mot comme en cinq, habitant de la planète Terre.
C’est alors qu’une question devint centrale et occupa les écrivains, qui se disaient - emportés par les élans de la langue - twittérateurs, (avec cet accent aigu sur le e).
On comprit qu'il s'avérait tout à coup impossible de définir une pratique littéraire en se référant à la langue utilisée par la majorité de ses écrivains. Et pour certains de plus en plus nombreux, le twittérateur,  devait pouvoir écrire dans la langue qui lui chanterait. 
En français, bien sûr mais aussi en allemand, en espagnol, en japonais, en anglais, en arabe, en italien, en ouolof, en bambara, en hébreu, en chinois ou en russe, en grec ancien ou moderne, en latin et même en occitan. Ou pourquoi pas en sarde ou en normand, en gallican, ou en basque....


Bref, on finit, après des débats interminables, par convenir que la langue utilisée par le twittérateur importerait peu pourvu qu'il consentit à écrire les mots Twittérature et twittérateurs  avec ce sacré fichu accent aigu sur le e, qui était la signature de ses inventeurs, qui était son logo en quelque sorte, comme la pomme croquée l’était pour Apple, ou comme le drapeau l’était pour une nation, comme le chapeau pour l'habit de gala, comme le bleu de chauffe pour l’ouvrier, comme le maillot de bain pour le nageur. Cette petite virgule en l'air, ce genre de petite apostrophe, qui modifiait le e, on avait cru (il est vrai) la voir tomber en désuétude à l’ère du numérique et des adresses mail qui supprimaient tous trémas et accents qu’ils soient circonflexes, graves ou aigus. Bref ce petit signe qui semblait vouloir se perdre, on y tenait et on allait s'en enorgueillir.
Il fallut se rendre à l’évidence : la Twittérature et les twittérateurs entraient par la grande porte dans le monde du paradoxe.

On continua cependant d'écrire, d'inventer des formes, de créer des rassemblements divers, on fit des groupes et presque aussitôt des scissions, on établit ensuite des complicités et des rivalités entre les groupuscules nouvellement constitués. La vie ordinaire en quelque sorte.
On réhabilita le fragment et les formes brèves, on lutta contre le fait d’y cantonner la Twittérature, on inventa  des manières d’agencer les morceaux d’écriture (ou tweets) pour qu’œuvre se fasse.
La nano littérature s’opposa très vite aux partisans des romans fleuve au vrai sens du terme, romans qui ne pouvaient que s’écouler sans fin en ce fil tendu sur la Toile.  On critiqua la Twittérature qui ne serait pas soucieuse de lutter contre le sexisme inhérent à la langue, on créa des groupes à volonté égalitariste. On déclara interdites des expressions humiliantes pour l’une ou l’autre des minorités opprimées, les oppresseurs se cramponnèrent à leurs certitudes comme à l’accoutumée et accusèrent les autres d’être des censeurs (les censeurs réclamèrent d’être appelées censeures lorsque c’était leur genre). On se disputa sur les définitions de prose ou poésie ranimant les vieux débats du mitan du 19ème siècle qui avaient exploré et déjà résolu le problème. Ce qu’on avait totalement oublié. On mit Perec et l'Oulipo à toutes les sauces opposant contraintes dures et contraintes molles, les molles étant bien sûr plus molles que les dures qui seules valaient. On tenta surtout d'imposer l'universalité du comptage 140 pile poil, souhaitant exclure tout autre nombre de caractères du corpus twittéraire. Par esprit de contradiction,  quelqu’un se mit a colliger les tweets à nombre de caractères constants entre 1 et 139 créant ainsi d'étranges et arbitraires cadavres exquis qu’il finit par organiser en poésies strictement carrées. On lutta contre la dispersion inhérente à la Twittérature, dans ce moment où elle était encore à l’état naissant - comme on dirait pour un corps chimique fait d’atomes et non encore constitué en molécules – on lutta en spécialisant un compte, en faisant correspondre absolument le compte et l'œuvre en gestation ou  en rassemblant  secondairement les écrits dans des blogues ou même en des livres de papier...

La boucle étant bouclée, on s'aperçut qu'on se compliquait la vie terriblement.

Mais,
on continuait derechef. 

Certains cependant  revinrent au crayon et abandonnèrent les Lettres de Lumière. Mais ils furent peu nombreux ou tout au moins, on le crut, car ils s’éclipsèrent discrètement de la Toile qui continua, de fait et d’évidence, à réunir les Twittérateurs qui, par définition, y étaient restés. 

On avait oublié l’essentiel, ceux que les déserteurs amoureux du crayon-papier rappelaient aux autres cruellement :
la Twittérature ne pouvait se passer de Twitter qui était son principal outil comme autrefois l'avaient été, pour les Littérateurs, la tablette d’argile et le calame, le parchemin et la plume d’oie, le Bic et le cahier, la machine à écrire et la feuille A4 et comme l’était encore aujourd’hui le clavier des ordinateurs, les fichiers et les imprimantes.

Car enfin, pouvait-on être Twittérateurs si on écrivait dans un cahier ou sur une feuille volante ou simplement mentalement, des messages de 140 signes pile poil ? Cette question taraudait.


Toujours est-il, qu’on constatait que, certains faisaient de Twitter leur brouillon ou tout au moins leur premier jet, et que d'autres tournaient sept fois leur tweet dans leur tête avant de le rédiger en Lettres de Lumière pour l'expédier par câble, wifi et serveurs sur la Toile.

Au bout du compte, on avait sérieusement compliqué l’acte d’écrire.

Il fallait bien s’avouer que, entre l’écrit et les Twittérateurs, était une machine immense et infernale qui se révélait à la fois l’outil et le support de la jeune Twittérature. 

Et cet outil était Twitter.

Derrière Twitter était l’immense arrière-plan de la Toile et tous ses réseaux qui nécessitaient pour se constituer une énergie folle et couteuse, énergie dont certains dirent que nous allions bientôt manquer.

Les ennemis de la jeune Twittérature furent prompts à parler d’aliénation, de dépendance, les plus modernes ont dit « addiction », le grand mot à la mode, dont on sait qu’il a remplacé la merveilleuse « passion ».

Au milieu de cette cacophonie, une voix s’éleva, timide et résolue, qui dit : Peut-on vraiment définir une pratique littéraire à partir de son seul support ? 
Malgré les protestations de façade, le doute s’immisça dans les esprits que la question atteignit de plein fouet.

On étudia l’étymologie du mot Livre. Liber dont il était issu, désignait cette pellicule entre le bois et l’écorce sur laquelle il était possible d’écrire. On s'émerveilla. Il s'agissait de la partie la plus vivante de l'arbre. Mais, on admit que le mot Livre n’était assonant avec Littérature que fortuitement.

Jamais, il fallait bien en convenir, il n'avait été question de livrerature, ni même de livrérature. L’accent, sa présence ou son absence, ne faisait rien à l’affaire. L’accent était, il fallait se rendre à l’évidence, un problème mineur, annexe, accessoire, l’accent sur le e n’avait, là, aucune espèce d’importance.
Et le support du Livre - avec ses feuillets, ses pages, sa reliure, ses marges, son volume, son encre même -  restait le contenant de ce contenu sacré qu’on appelle encore Littérature.
Le codex, la tablette d’argile, le papyrus, le parchemin, le rouleau, la pierre, n’avaient pas vraiment généré d’écrits nommés en référence à ces supports.

Il fallait peut-être consulter les archéologues et leur demander d’étudier à fond la question. Car, si la Twittérature avait eu de ce point de vue des précurseurs, il serait possible d’en éclairer la théorie et partant, la pratique, en se référant enfin à des ancêtres qu’on apprendrait à respecter.

Mais pour le moment, la seule vérité, c’est qu’on disait Littérature et que la racine du mot, son soubassement, sa seule fondation, était Lettre. Littéral. Littéralement Lettre. Et rien d’autre.

Lettre avec ses mystères, ses formes auxquelles on accole des sons qui se mariant entre eux forment le mot puis la phrase, puis le texte, de la Littérature justement.

Bien évidemment, tout assemblage de lettres formant un texte n’est pas Littérature, il y faut plus - plume solitaire éperdue ou aigrette de vertige - il y faut l’être de la Littérature.

Mais c’est une autre histoire, et la seule question peut-être.

La voix timide et résolue ajouta soudain : Twittérature qui se rapprocherait par le sens de livrérature, renvoie par le son à Littérature.

La Twittérature serait-elle Littérature par simple assonance avec elle ?

Chacun sait bien qu’il n’en est rien.
Et qu’il y a loin du tweet à l’œuvre.

Ainsi, la seule question que nous aurions à nous poser est la suivante : l’assonance étant identifiée comme insuffisante à faire de la Twittérature une Littérature, que faudrait-il donc pour que cet espoir, ce vœu contenu en le néologisme se réalisât ?

Car la Twittérature étant composée d’éléments (ou tweets) eux mêmes composés de Lettres ne pourra se hisser vers la Littérature que si les Twittérateurs s’y attèlent.
Qui, ici, en ce premier Festival International de Twittérature, pourrait dire le contraire ?

C’est notre travail et notre labeur, notre plaisir et notre joie, notre recherche et notre quête.


Lirina Bloom
le 16 octobre 2012 pour le Festival International de Twittérature. 



Par la suite : 

mentionné par Monique Le Pailleur
in Ferments de récits et béquilles textuelles.
http://eclectico.effetdesurprise.qc.ca/?p=3404

2 commentaires:

  1. En un mot comme en cent-quarante : élégant !

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  2. « aigrette de vertige - il y faut l’être de la Littérature »

    Voilà. Ou de la platitude qui se pose comme rebelle à tout ce qui se présente comme travail performant.

    Un outil contraignant, sans choix de polices ou de mise en page, de couleur.

    140 devient obsédant parfois histoire de prendre de l'espace (davantage éducation masculine? Piste peut-être intéressante dans cette société où l'enfermement et la chosification féminine sont encore tellement présentes).

    Aimer le trouble, tiens. Ce mot multiple, déjà. Ici, faire du trouble, causer du trouble, c'est se révolter, refuser d'obéir.

    Le haïku est-il de la littérature ou de la poésie? Et l'alexandrin? Et...

    La question éternellement posée pour moi demeure qu'est-ce que l'art, ici qu'est-ce que la littérature en sous-jacence, personnage de la grande famille et on sait combien ils s'allient les uns aux autres depuis surtout, un demi-siècle.

    Merci Lirina pour ce fil historique à ta manière.

    S' « il y faut l'être », il y faut l'âtre. Le feu de la passion. Peu importe ses synonymes.

    Amitié, Zéo Zigzags

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